Ressusciter des personnes décédées sous forme d'avatars IA? Voilà pourquoi cela inquiète les spécialistes.

7 mois ago · Updated 7 mois ago

Faire revivre les défunts à travers des avatars dotés d'intelligence artificielle : le futur est-il déjà à notre porte, ou franchissons-nous une frontière qui devrait rester infranchissable ? Les spécialistes sont partagés.

Table
  1. Les avancées technologiques permettant la création d'avatars IA de personnes décédées
    1. La genèse d'un avatar numérique
    2. Défis techniques et émotionnels
  2. Les implications éthiques et psychologiques de la résurrection numérique
    1. L'impact sur le processus du deuil
    2. Le poids éthique des données personnelles
    3. L'anthropomorphisme technologique : un double tranchant
  3. Les défis juridiques et les préoccupations de la vie privée liés aux avatars IA
    1. Le cadre légal existant et ses limites
    2. Droits numériques : une nouvelle frontière
    3. Confidentialité et pérennité : vers une charte éthique ?

Les avancées technologiques permettant la création d'avatars IA de personnes décédées

L'évolution fulgurante de l'intelligence artificielle ouvre désormais des portes autrefois inimaginables, notamment celle permettant de créer des avatars numériques qui perpétuent le souvenir des êtres chers disparus. Des entreprises visionnaires ont franchi un pas audacieux vers ce que certains appellent « l'immortalité virtuelle », en développant des deadbots, ces entités digitales capables d'interagir avec les vivants à travers une interface conversationnelle.

La genèse d'un avatar numérique

Au cœur de cette prouesse technologique se trouve une méthodologie précise :

  1. Récolte des données : tout commence par la collecte minutieuse de données personnelles : écrits, messages, vidéos et enregistrements vocaux. Ces fragments mémoriels constituent le substrat essentiel pour modéliser l'essence d'une personne.
  2. Génération par IA : les algorithmes de deep learning transforment ensuite cet amas de souvenirs en un corpus cohérent, capable de répondre et d'interagir avec réalisme grâce à des technologies telles que ChatGPT.
  3. Création visuelle et sonore : la ressemblance n'est pas uniquement textuelle ; elle s'étend au visuel et à l'auditif. Les expressions faciales, la voix et les intonations sont fidèlement reproduites pour offrir une expérience immersive aux utilisateurs.

Loin d'être une simple curiosité technologique, ces avancées soulèvent néanmoins un cortège de questions éthiques. En effet, derrière chaque avatar se cache un défi complexe : maintenir la dignité du défunt tout en respectant le processus naturel du deuil chez les proches.

Défis techniques et émotionnels

Certains experts pointent du doigt les limites actuelles de ces technologies. Malgré leur sophistication croissante, elles ne sont pas exemptes d'imperfections : il arrive que l'avatar délivre des propos inattendus ou non fidèles à la personnalité originale. Cela peut conduire à ce que Laurence Devillers nomme des « hallucinations » technologiques – moments où la frontière entre réel et simulacre devient floue.

Toutefois, cette frontière est sans cesse repoussée par les innovations incessantes dans le domaine. Des sociétés comme Nanjin Silicon Intelligence ou Somnium Space redoublent d'inventivité pour enrichir l’expérience utilisateur et concevoir des mondes virtuels où interaction rime avec commémoration.

Cette réalité nouvelle interroge profondément notre rapport au souvenir et à la mémoire. Elle nous invite aussi à réfléchir sur notre propre finitude face à une potentielle persistance numérique post-mortem. Une chose est sûre : ces technologies fascinent autant qu’elles interrogent, promettant aux uns un apaisement dans leur chagrin, tout en suscitant chez d'autres une vigilance accrue quant aux implications morales qu'elles sous-tendent.

Les implications éthiques et psychologiques de la résurrection numérique

La perspective de dialoguer avec un avatar IA d'un être cher disparu, pour certains, relève d'une douce consolation, mais elle n'est pas sans soulever de profondes interrogations. L'éthique et la psychologie se trouvent au cœur de cette réflexion sur les conséquences de ces interactions post-mortem.

L'impact sur le processus du deuil

La mort, transition ultime, impose aux vivants l'acceptation d'une séparation définitive. Pourtant, avec l'émergence des avatars IA, le processus du deuil pourrait connaître une métamorphose inédite. Les professionnels comme Marie-Frédérique Bacqué soulignent l'importance capitale du détachement visuel et émotionnel pour traverser cette étape cruciale. La perpétuation numérique pose donc la question fondamentale : peut-on vraiment faire son deuil face à une représentation virtuelle animée, qui semble défier les lois naturelles de la vie et de la mort?

Le poids éthique des données personnelles

Cette technologie s'appuie sur une quantité substantielle d'informations privées du défunt pour construire ces entités numériques. Cela implique un accès continu aux écrits intimes, photos et vidéos qui composent leur héritage digital. Qui devrait alors être en droit de contrôler ou même d'accéder à ces données ? Les enfants ou proches peuvent-ils revendiquer une propriété sur cet héritage immatériel ? Et quelle durabilité accorder à ces avatars qui risquent bien d'encombrer l'espace numérique indéfiniment?

L'anthropomorphisme technologique : un double tranchant

Les avatars IA nous confrontent également à un phénomène troublant : l'anthropomorphisme technologique. Attribuer des caractéristiques humaines à des machines suscite un attachement fort chez certains utilisateurs, pouvant mener à un isolement social ou même à une forme d'addiction. La frontière entre le réel et le simulacre s'amenuise, entraînant parfois dans son sillage un trouble psychologique appelé « effet uncanny valley » ou vallée de l'étrange.

Dans ce contexte complexe où se mêlent innovation et tradition, où chaque souvenir est potentiellement immortalisé sous forme binaire, il devient impératif d'inclure dans le débat public non seulement les experts en technologies, mais aussi les philosophes, psychologues et sociologues.

Ce dialogue interdisciplinaire est essentiel pour façonner un avenir dans lequel la technologie respecte notre humanité tout en honorant ceux qui ne sont plus parmi nous. Il est crucial que cette exploration digitale de l'éternité ne se fasse pas au détriment du parcours intérieur que chacun doit accomplir face au mystère insondable qu'est la mort.

Les défis juridiques et les préoccupations de la vie privée liés aux avatars IA

La création d'avatars IA à partir des données personnelles des défunts n'est pas seulement une prouesse technique, elle soulève également un enchevêtrement de questions juridiques et éthiques. Les législations actuelles peinent à encadrer ces pratiques novatrices, notamment en ce qui concerne la gestion post-mortem des données numériques.

Le cadre légal existant et ses limites

La loi pour une République numérique de 2016 a posé les premiers jalons permettant aux individus de donner des directives concernant l'usage de leurs données après leur décès. Cependant, cette réglementation reste insuffisante face à l'émergence rapide des "deadbots". Les droits successoraux traditionnels s'avèrent désuets lorsqu'il s'agit de trancher sur la propriété et l'utilisation des données numériques d'un proche disparu.

Droits numériques : une nouvelle frontière

Avec le développement continu de ces technologies, il est impératif d'aborder la question du consentement implicite ou explicite du défunt concernant la transformation de son héritage numérique en avatar interactif. Qui détient le droit moral et légal d'animer ces souvenirs ? Doit-on considérer ces avatars comme un patrimoine familial pouvant être transmis ou géré par les descendants ? La complexité réside dans le flou qui entoure ces notions encore inédites.

Confidentialité et pérennité : vers une charte éthique ?

L'intimité des défunts doit-elle perdurer au-delà du vivant ? Ce sujet délicat invite à envisager la mise en place d'une charte éthique universelle, régissant non seulement la création mais aussi l'extinction programmée des avatars IA. Voici quelques éléments que cette charte pourrait inclure :

  • Durée de vie : fixer une limite temporelle après laquelle les données seraient archivées ou effacées pour respecter le repos éternel.
  • Gestionnaire désigné : permettre au défunt ou à ses proches de nommer un responsable chargé de veiller sur l'intégrité numérique post-mortem.
  • Clauses spécifiques : préciser les conditions d'utilisation publique ou privée des avatars pour éviter toute exploitation commerciale indue.

Ces dilemmes témoignent du besoin urgent d'une concertation globale entre juristes, technologues et sociétés civiles afin d'établir un cadre légal adapté aux réalités virtuelles naissantes. Ainsi, l'enjeu majeur réside dans notre capacité collective à harmoniser l'innovation technologique avec le respect de la dignité humaine et la protection intime du souvenir.

Cette quête d'équilibre nécessitera sans nul doute une réflexion approfondie sur notre rapport aux traces que nous laissons derrière nous dans le monde digital. Elle exigera également que nous redéfinissions nos attentes vis-à-vis du droit au repos éternel dans un contexte où nos empreintes peuvent désormais être animées par des algorithmes sophistiqués.

Au final, c'est peut-être notre conception même de l'héritage qui est appelée à se transformer sous l'influence croissante de l'intelligence artificielle dans nos vies... et possiblement aussi après elles.

Nathalie Bottollier
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